Tous des prophètes et des hommes debout…
Je viens de lire dans une interview du romancier Jean Cau, l’affirmation d’une
évidence : « Un homme est plus beau debout qu’à quatre pattes ».
Et je pense à la joie de tous ces jeunes papas et mamans quand, enfin, leur enfant
marche debout, peut-être parce que, inconsciemment, ils pensent que c’est bien un
homme qu’ils ont mis au monde. Les premiers pas d’un enfant, c’est une nouvelle
naissance… Est-ce que je me trompe ? Jeunes parents, ne l’attendez-vous pas ce
moment-là avec presque autant d’impatience que la première arrivée parmi les
hommes de votre petit homme ?
Malheureusement, les années passent, on dirait que le poids des ans alourdit les
épaules – au moins moralement – de ceux qui ont tant « bataillé » pour se mettre
debout une première fois. Et trop, beaucoup trop de soi-disant jeunes marchent à
quatre pattes : ils vivent comme écrasés par la vie, dont ils n’ont pourtant qu’une
toute petite expérience. Quelqu’un, à qui je citais la phrase de Jean Cau, m’a même
dit : « Même à quatre pattes, c’est trop haut pour eux, ils préfèrent être couchés ».
Et nous, les plus vieux, nous ne pouvons pas nous vanter non plus d’être exempts de
cette tentation, ni non plus de ne pas y succomber. Et il me vient à l’idée l’image
d’une foule innombrable d’hommes se suivant les uns les autres à quatre pattes, tel
un troupeau de moutons, tête basse, comme on en rencontre sur les routes de
montagne ou dans les hauts alpages. Et le berger, au milieu du troupeau de moutons,
fait figure de Dieu tout-puissant.
Pourquoi, de tous temps, les chrétiens n’ont-ils pas été ces hommes debout ?
Pourquoi tant de chrétiens essayent-ils de vivre comme s’ils ne l’étaient pas ? Pourquoi
des écoles chrétiennes – ou ceux qui les dirigent – ont-ils honte de leur caractère et
de ce qui les différencie de celles qui ne le sont pas ?
On nous dit sans cesse qu’il faut être « à l’avant-garde ». Je constate que, la plupart
du temps, ça veut dire « être à la remorque » et à la remorque d’une masse qui, toute
entière, marche vers l’abîme.
Pour ma part, je pense qu’il vaut mieux être au milieu, debout, et donner l’exemple…
et rester debout, bien fixé sur ses pieds – j’y suis, j’y reste – pour donner envie à ceux
qui passent de se relever, de ne plus obéir aveuglément, de ne plus marcher vers le
suicide collectif d’un troupeau en marche vers la mort.
Les prophètes de l’Ancien Testament, c’étaient
cela : des hommes debout. Et le plus grand de
tous est venu ; et comme s’il n’était encore pas
assez grand, il a voulu qu’on l’élève encore… et sur
une croix.
On dit souvent que le monde d’aujourd’hui
manque de prophètes : c’est ce que je
demanderai pour vous tous dans ma prière en ces
jours de Noël, et, pour chacun de vous, ce sera
mon seul souhait :
« QUE VOUS SOYEZ TOUS DES PROPHÈTES, DES
HOMMES DEBOUT , PARTOUT OÙ VOUS VIVEZ. »
Père G. PUPIER, janvier 1970